Hatha, Iyengar, Ashtanga, Vinyasa, Intégral, Power, Bikram, Yin, sans parler des Goat, Wine ou Yogapéro… le visage du yoga moderne ressemble à un vaste kaléidoscope dans lequel il est parfois difficile de s’y retrouver.
Laissons de côté les formes ouvertement « exotiques » telles que le Goat Yoga (yoga avec des chèvres, oui, oui, ça existe!), le Wine Yoga (couplé à une séance de dégustation de vin) ou encore le Yogapéro. Non qu’elles soient dénuées d’intérêt – car si elles permettent de mettre certaines personnes sur le chemin de yoga, c’est qu’elles auront su constituer un point de départ pertinent. Mais elles greffent autour du yoga un élément annexe. Ce qui laisserait à penser qu’à lui seul, le yoga ne saurait constituer un ingrédient de base suffisant pour être attirant.
Alors comment ne pas se perdre dans ce dédale de pratiques et trouver le chemin de celle qui nous convient ?
D’abord, afin de savoir où l’on va, il n’est pas inutile de savoir d’où l’on vient (ça évitera de tourner en rond). Et il faut avouer que plonger dans les origines du yoga a de quoi déstabiliser en regard de ce qu’il est très largement aujourd’hui.
Au commencement était… l’union
Car si, dans l’imaginaire collectif porté par l’imagerie des réseaux sociaux, le yoga s’est actuellement imposé comme un enchainement de postures plus ou moins fluide et dynamique, à ses débuts, il désigne tout bonnement et simplement l’inverse !
La première apparition connue du mot yoga dans la tradition indienne est relevée dans les textes sacrés de la Taittiriya Upanishad, l’une des plus anciennes Upanishad majeures (datée entre 600 et 500 ans av. J.-C.). Elle y désigne alors le tronc reliant l’ensemble des branches du corps intérieur fait d’intellect. Pas de quoi se mettre sur les tapis…
Idem dans la Katha Upanishad, qui, à la même époque, recourt au mot yoga à travers la parabole de l’homme vu comme un char tiré par 5 chevaux. Ceux-ci renvoient aux organes des sens, dont le yoga parvient à obtenir l’immobilité en les domptant ainsi qu’en ajustant les rênes (le mental) et l’action du cocher (pensée intuitive). Une fois immobilisé par cette force d’union qu’est le yoga, le char échappe à la roue des réincarnations du Samsara et aux souffrances qu’elles causent nécessairement en raison de l’agir qu’elles impliquent immanquablement. Mais ne nous égarons pas et revenons à nos tapis !
8 branches pour pratiquer
L’histoire admet généralement qu’un traité codifie la pratique du yoga : les Yoga Sutra, attribués à la figure énigmatique de Patanjali et datés plus ou moins du IIe av. J.-C. Adossé à un texte plus théorique qu’est la Samkhya-karika d’Isvarakrsna, le yoga est l’un des 6 points de vue (ou systèmes de pensée) portés sur le monde déployés par la culture indienne.
Rien d’étonnant, dès lors que l’on parle de vision du monde, à ce que le yoga codifié par Patanjali et défini comme le Raja Yoga (le yoga des rois) ne soit pas un flow de postures ! Il s’agit d’un ensemble de 8 pratiques (on pourrait digresser sur l’importance symbolique du chiffre 8 dans la pensée indienne, mais… non), parfois elles-mêmes subdivisées en d’autres pratiques.
Un joli petit millefeuille qui fait des Yamas (les règles éthiques à l’égard de l’autre, au rang desquelles figurent Ahimsa – la non-violence ; Satya – la vérité ; Asteya – l’absence de vol ; Brahmacharya – la modération, parfois aussi conçue comme la chasteté ; Aparigraha – l’absence d’avidité) le socle de cet arbre à 8 strates. Se poseront dessus les Nyamas (la morale, donc l’hygiène, aussi bien physique que mentale, à l’égard de soi, qui compte Sausha – la propreté ; Santosha – le contentement ; Tapas – la constance dans l’épreuve ; Svadhyaya – la connaissance de soi et des textes sacrés ; Isvarapranidhana – le lien au sacré), les Asanas (les postures), le Pranayama (travail du souffle), Pratyahara (la mise à distance du monde sensible), Dharana (la concentration sur un point), Dhyana (la méditation sans objet) et Samadhi (l’état de béatitude ou de libération).
Ainsi, à mesure que le yogin s’élève au fil des pratiques, il rencontre à la fois la présence aux autres, avec l’établissement de sa juste place dans le monde, mais aussi l’équilibre dans la relation à soi et à ses différents corps possibles. Et le yoga, c’est tout ça !
Lorsque Patanjali s’attarde plus particulièrement sur les Asanas, la posture, c’est pour la caractériser du célèbre « sthirasukam asanam » (II-46). Un lieu – une façon de se déposer – établi tout à la fois avec fermeté et douceur, qui concerne avant tout la posture assise permettant travail du souffle, retrait des sens et méditation pour l’atteinte du Samadhi. L’asana incarne alors l’union des contraires, qui évoque la signification du « yoga » des Upanishad mentionnée plus haut. Pour qui pratique le yoga aujourd’hui, toute posture peut donc être vue comme un refuge où douceur et fermeté, relâchement (physique mais aussi de l’ego) et engagement coexistent… Et on peut alors chercher la douceur quand l’engagement se fait plus fort (dans une posture comme Utkatasana, la Chaise, par exemple), ou, à l’inverse, l’énergie, la force, dans des postures vues comme plus « relaxantes » (Tadasana, ou posture de la Montagne, notamment).
Des siècles durant, l’asana ne sera donc que « l’assise », à laquelle il a d’ailleurs donné son nom. Il faudra attendre la Hatha Yoga Pradipika, datée du XVe siècle ap. J.-C. pour découvrir une série de 15 postures. Certaines sont encore pratiquées aujourd’hui, mais la plupart, destinées à l’assise, sont tombées dans l’oubli ; d’autres les ont remplacées pour atteindre les 108 postures de yoga que l’on peut trouver dans « Justasana », un joli jeu de cartes moderne.
Système de pensée, vision sur le monde, le yoga ne peut donc se réduire à la pratique de mouvements égocentrés. Voilà pourquoi peu avant les Yoga Sutra de Patanjali, un autre texte, la Bhagavad Gita (si vous voulez écouter notre podcast sur ce thème, c’est par ici) propose 4 voies majeures pour la pratique du yoga : le Bhakti Yoga (yoga de la dévotion), le Jnana Yoga (yoga de la connaissance), le Karma Yoga (yoga de l’action) et le Raja Yoga. Néanmoins, à une époque et dans des cultures qui ont fait de l’individualisme et du bien-être leurs piliers, ceux-ci peuvent constituer une formidable porte d’entrée dans le monde du yoga.
Les yogas modernes
Intégrant plus ou moins de pranayama, de méditation, de mantras, de mudras, les différents courants de yoga modernes doivent beaucoup à l’occidentalisation de la pratiquer permise, notamment, par Vivekananda à la toute fin du XIXe.
Sous une forme plus physique, plus apte à séduire un public au-delà des limites de l’Inde, le yoga conquiert l’Occident avec Krishnamacharya, qui formera entre autres Indra Devi, mais aussi Pattabhi Jois (père de l’Ashtanga Yoga) et son beau-frère B.K.S. Iyengar (qui créera le yoga éponyme). Nous voilà enfin à notre tour d’horizon des courants de yoga les plus… courants proposés dans les studios et par les professeurs aujourd’hui.
• Le Hatha Yoga. La forme que l’on pourrait voir comme « la plus ancienne du yoga moderne ». Pratiquant autour des troisième et quatrième piliers des Yoga Sutras de Patanjali que sont les asanas et le pranayama, le Hatha Yoga, désignant aussi un yoga « de la force » autour de l’équilibre des polarités, se divise généralement en quatre temps : le centrage sur l’instant présent, la prise d’une posture, le maintien de celle-ci et l’observation de ce qui en découle. Codifié par le célèbre ouvrage Hatha Yoga Pradipika, daté du XVe siècle, il ne lie pas entre elles les différentes postures dans un « flow » basé sur la respiration. Ce qu’il fait davantage aujourd’hui dans ses formes modernes appelées « Hatha Yoga Vinyasa » ou « Hatha Yoga Flow ».
• Le Yoga Vinyasa. Au début du XXe siècle, le culturisme connaît un engouement sans précédent et imprègne le monde du yoga à travers la figure de Yogananda, parti enseigner aux États-Unis une forme de pratique plus physique, centrée sur les asanas. En 1928, un ouvrage, The Ten Point Way to health, rédigé par le rajah d’Auhn, codifie la pratique séculaire de la salutation au soleil et, grâce à la photographie, démocratise cette série enchaînées ur les respirations.
À Mysore, désireux de vulgariser la pratique du yoga afin de favoriser la culture physique auprès des jeunes Indiens, l’inventif Krishnamacharya développe son propre courant, propice à véritables démonstrations de force et souplesse. Il teinte son enseignement de la tradition du Hatha Yoga tout en intégrant une dimension plus gymnique, qui pointe l’importance des transitions entre les postures. Celles-ci deviennent partie intégrante de la pratique. Le Vinyasa, caractérisé par un enchaînement dynamique et changeant de postures, est né.
• L’Ashtanga Yoga. Formé auprès de Krishnamacharya, Pattabhi Jois choisit, lui, de codifier et d’arrêter le format de ses séries. Il impose rigoureusement le déroulé des séquences et leur évolution et l’enseigne dans son école, l’Institut de recherche sur l’Ashtanga Yoga, ouvert en 1948. Si vous aimez la discipline physique, les pratiques physiquement engagées, la dimension performative manifestée, la répétition à l’envi des mêmes mouvements jusqu’à leur acquisition qui permet d’envisager la séquence suivante, l’Ashtanga Vinyasa Yoga, vite devenu Ashtanga Yoga, est pour vous.
• Le Yoga Iyengar. Beau-frère de Krishnamacharya, BKS Iyengar suivra lui aussi une voie personnelle. Marqué par sa constitution fragilisée par les maladies, il développe un yoga aux accents de renforcement thérapeutique, fondé sur l’alignement postural et l’utilisation de supports (briques, sangles…) pour y évoluer. Son livre, Light on Yoga, publié en 1966, constitue le pilier de la pratique.
• Le Kundalini Yoga. Ses adeptes le disent transmis « secrètement » durant des siècles jusqu’à son introduction en Occident par la figure controversée de Yogi Bhajan, qui s’installe aux États-Unis à la fin des années 1960. Axée sur l’énergie travaillée à travers des respirations puissantes dans les postures et des méditations facilitées par l’usage de kirtan mantras, cette pratique est souvent vécue comme un puissant outil de transformation ; à ce titre, elle doit être maniée avec rigueur et probité.
• Le Bikram Yoga, aussi appelé « Hot yoga » ou « yoga chaud ». Opportunément développé dans les années 70 par une autre figure plus que controversée du monde moderne du yoga, Bikram Choudhury, celui-ci se compose d’un enchaînement de 26 postures et de 2 exercices de pranayama répétés durant une série de 90 minutes dans une salle chauffée à 40°C avec une humidité à 40 %. Décriée pour les risques cardiovasculaires, d’hypotension et d’hyperthermie qu’elle peut comporter, cette pratique connaît pourtant un succès commercial en France depuis l’ouverture de la première salle, au début des années 2000, à Marseille.
• Le Yin Yoga. À mesure que le yoga s’installe en Occident au cours du XXe siècle – en Amérique du Nord au premier chef –, ses formes se diversifient. Dans les années 90, on assiste à une explosion de la pluralité des pratiques. Parmi elles, le Yin Yoga se démarque par son rythme plus lent, inspiré du taoïsme et des méridiens de la médecine chinoise. Développé par Paul Grilley et ses disciples, Sarah Power et Bernie Clark, il invite à tenir les postures plus longuement, réduisant celles-ci à une petite dizaine par cours et permettant l’usage de supports pour en favoriser l’exploration.
• Le Viniyoga. Mélange de Hatha Yoga et de Vinyasa, le Viniyoga se caractérise avant tout par son souci de la personnalisation de la pratique, ayant fait son credo de la citation de Krishnamacharya qui veut que « ce n’est pas la personne qui doit s’adapter au yoga, mais le yoga qui doit être soigneusement ajusté à chaque personne ». Développée à plus large échelle par Desikachar, fils de Krishnamacharya, cette pratique appartenant au yoga classique, favorise la prise d’autonomie du pratiquant.
On aurait aussi pu mentionner le Yoga Pilates, le Power Yoga, le Yoga Touma (ou yoga du froid)… . Chacune pousse un curseur de l’identité protéiforme du yoga et y puise ainsi sa spécificité.
Bon à savoir :
Actuellement, l’enseignement du yoga ne fait toujours pas l’objet d’une formation diplômante encadrée par les autorités publiques. Nous vous invitons donc à essayer divers enseignements pour trouver celui qui vous convient (et à ne pas hésiter à en changer si vos besoins évoluent) et à rester attentifs/ives à ce qui vous est proposé. Un cours de yoga n’est pas une séance de développement personnel ni l’assujettissement à l’autorité d’une personne.