Le yoga sur le bout des doigts, mais pas que !
Vous donnez-vous la main quand vous pratiquez le yoga ? Plus concrètement, peut-être que vous placez parfois vos mains l’une contre l’autre, en Anjali Mudrâ ? Ou encore vous pressez légèrement l’index contre la pulpe du pouce, vos mains posées sur vos genoux, en Jnana ou Chin Mudrâ, pour méditer ?
Aujourd’hui vues et enseignées majoritairement comme des postures des mains, les mudrâ ne se limitent toutefois pas à nos extrémités digitales. La confusion vient du fait que nous restreignons généralement le terme « mudrâ » aux Hasta Mudrâ, « hasta » désignant la main en sanskrit.
Or, les mudrâ abritent une famille bien plus large !
Celle-ci englobe en effet tout à la fois les hasta mudrâ, mais aussi les mana ou citta mudrâ (les mudrâ de la tête, de la conscience, du mental, qui comprennent elles-mêmes les drishtis – les verrous du regard –, les verrous de la langue – comme Kechari Mudrâ, où celle-ci roule vers le pharynx -, et ceux des oreilles et des lèvres), les bandha (Mula, Uddiyana et Jalandhara, à savoir le triya bandha, ou « triple bandha, pour les plus connus, qui verrouillent et concentrent l’énergie respectivement à la racine de la colonne vertébrale, sous le sternum et dans la gorge), mais aussi les kaya (mudrâ du corps entier, que l’on prend dans les postures associées à des pranayamas, comme Viparita Karani Mudra ou Pashini Mudra) ou les adhara (mudrâ de la région du périnée).
S’intéresser à l’étymologie du mot est un trésor de compréhension de sa puissance. En effet, « mudrâ » viendrait du sanskrit « mud », qui désigne le plaisir, et « dra », le fait de « tirer vers l’avant », de « faire jaillir », à l’instar d’une concentration, qui permettrait l’accumulation avant la libération.
Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le terme « mudrâ » soit généralement traduit par « sceau », le sceau constituant à la fois une accumulation de matière mais aussi ce qui permet de fixer plusieurs parties (lorsqu’il fait effet de cachet sur une lettre, par exemple), et plus encore d’entériner et d’authentifier un message. Symboliquement, avec la mudrâ, le yogin ou la yogini scelle ainsi l’énergie de sa posture, en reliant les différents kosha (les différentes couches, ou les différents corps qui composent l’être), et l’authentifie au-delà de sa forme extérieure. Celle-ci se retrouve donc intériorisée. Une invitation à « boucler la boucle » de la pratique pour ne pas en faire une simple gymnastique, en quelque sorte.
Avec les mudrâ, on pratiquerait alors peut-être de façon plus complète… « Sur le bout des doigts », en fait. Comme lorsqu’un savoir ou un savoir-faire est parfaitement maîtrisé, signe que la connaissance est complète. D’ailleurs, Aristote, philosophe grec antique, ne fait-il pas de la main le prolongement du cerveau ? Cette main dans laquelle les diseuses de bonne aventure lisent l’avenir ou que la médecine chinoise conçoit comme une carte énergétique de notre vitalité a décidément bien des potentialités !
En Ayurvéda, la médecine traditionnelle indienne, les doigts sont associés à chacun des 5 éléments que sont l’éther, l’air, le feu, l’eau et la terre. La correspondance doigt/élément diffère en fonction du système de mudrâ que vous choisissez. Si vous pratiquez des Hasta Mudrâ (les doigts des deux mains sont en contact en miroir, comme dans Anjali ou Ganesha Mudra, par exemple), pouce/index/majeur/annulaire/auriculaire correspondront respectivement aux éléments éther/air/feu/eau/terre. Tandis que si vous réalisez des Tattvayoga Mudra (les doigts d’une main se touchent entre eux, comme dans Chin Mudra, par exemple), la correspondance devient pouce/feu, index/air, majeur/éther, annulaire/terre, auriculaire/eau.
Vous pouvez associer à vos mudrâ des sons grâce aux mantras (comme dans la très puissante Kirtan Kriya, qui ancre le cycle de la création au bout de nos doigts au rythme du mantra « Sa-Ta-Na-Ma ») ou simplement observer comment les postures des doigts dirigent le souffle à travers le corps (voir notre vidéo autour des Merundanda Mudrâ + lien). Lutte contre l’insomnie, la morosité, le stress, rééquilibrage de l’énergie, du caractère, etc. à vous d’explorer cet univers à la richesse extraordinaire, qui vous tend… les doigts !
Nota : Comme toute posture de yoga, les Hasta Mudrâ ne doivent pas occasionner de douleur. Si lorsque vous prenez la mudra, celle-ci occasionne une gêne qui rend la tenue de la mudrâ déplaisante, relâchez-la et choisissez-en une autre.
Il y aurait tant à dire sur les mudrâ, et ce petit article ne saurait constituer qu’un très mince aperçu de ce qu’elles offrent ! Deux ouvrages nous semblent constituer une belle et plus longue introduction à leur univers. Nous vous recommandons donc « Mudra, Le yoga des doigts », de Juliette Dumas et Locana Sansregret (éditions Flammarion) et « Mudra – Les Gestes du yoga », de Clémentine Erpicum, aux éditions Tulika. Bonne lecture et bonne pratique !